Emile, reviens ... ils sont tous devenus fous
« Il sera pour vous comme l’un des vôtres, l’étranger qui habite avec vous, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers en terre d’Égypte». C’est ce qui est écrit dans la Bible. Depuis le jour béni où la société a décidé que j’avais suffisamment travaillé pour me la couler douce, je pense. Je réfléchis. Je gobe. Le temps s’est ralenti laissant la place au retrait et à l’analyse. Il a laissé la place à d’autres sentiments moins agréables mais qu’importe. Il en va de la vie comme du cours d’un fleuve.
Sauf que le temps de l’analyse n’est pas toujours un temps de tout repos. Loin s’en faut. Ces derniers jours, si j’avais dû analyser tout ce que j’ai entendu, il ne me resterait que peu de neurones, la surchauffe ayant fait des ravages dans mes synapses. Une chose m’a fait vraiment bondir. Au sens propre du mot. Je suis pourtant peu bondissante. L’arthrite se charge de remettre les choses en perspective.
La déclaration (une de plus !) de Serge Klarsfeld. Abasourdie. Atterrée. Incrédule. Le vocabulaire me fait défaut. Comment un homme comme lui qui, avec son épouse, a consacré sa vie à amener les nazis devant la justice, peut-il dire que face au nouveau front populaire (sans majuscule, ce n’est pas 36 non plus quand même !), il votera RN ?! ! Franchement … Emile, reviens vite, ils sont tous devenus fous ! Il y a tout de même d’autres choix, y compris celui de ne pas choisir. Je n’ai rien contre mes concitoyens qui se retrouvent dans ce parti. Dire qu’il y a 30 % de nazis ou d’antisémites, c’est comme affirmer qu’il y avait 40 millions de pétainistes. La plupart sont des braves gens, incrédules ou fatigués et qui veulent croire que la surface vaut le fond.
Mais Klarsfeld … il n’a ni l’excuse de la bêtise, de la naïveté ou de l’aveuglement. Et puis, le problème du rejet de l’Autre dépasse largement la notion de parti, fût-il de l’une ou de l’autre des extrêmes. Le rejet s’affiche aujourd’hui sans filtre. Sans respect et sans scrupule. On peut l’appeler racisme, xénophobie, antisémitisme, islamophobie, homophobe, chienphobie ou tous les trucs en phobie ! C’est bonnet blanc et blanc bonnet. L’Autre c’est un autre et à ce titre, je lui dénie toute humanité. Je suis oublieuse du passé proche ou lointain, de mon histoire, de l’Histoire. Vraiment, Klarsfeld m’a fait tomber de ma chaise. Il a peut-être oublié que nous sommes tous des étrangers en terre étrangère.
Mon arrière grand-père paternel était polonais et je ne dois d’être là qu’à sa lucidité et à son courage quand il a quitté Lodz et francisé son nom dans les années 30. Du côté de ma mère, c’était plutôt l’Espagne. Et encore un exil pour fuir une dictature. Ma demi-sœur est noire comme de l’ébène, mon père ayant essaimé en Afrique au moment des indépendances. Elle a même été pendant un temps, comtesse française authentique jusqu’à ce qu’elle soit lasse d’entendre dans les soupers en ville la blague de quand je t’ai achetée au marché … (et aussi que les douaniers leur démontent la voiture parce qu’elle a un passeport français et qu’elle est noire alors que mon beau-frère est blanc et qu’il a un passeport sénégalais !) A Klagenfürt, ma cousine est mariée avec un autrichien grand teint. Un autre cousin est reparti en Pologne et a fondé une famille là-bas. Et on voudrait que je dise à un étranger barre-toi de chez moi quand je fais moi-même partie ce grand melting-pot ?
Alors, dois-je préparer mes valises ? En 81, certains affirmaient que les chars russes défileraient à Paris. C’est dire qu’en 40 ans, l’esprit n’a pas pris beaucoup de hauteur. Mais non. La Vème n’est certainement pas parfaite mais elle est loin d’être mauvaise. La Constitution, la réalité et les contingences internationales se chargeront de remettre tout le monde à sa place. Sauf que certaines petits phrases ou grandiloquences inappropriées ne vont s’oublier si vite. Encore que …
Quant aux étrangers, je me pose toujours la même question. Et si au moment des Indépendances, nous leur avions aussi permis d’acquérir l’indépendance économique, beaucoup ne chercheraient pas à rejoindre ce qu’ils croient être un eldorado. Ou alors, tentons une expérience inédite (on n’est plus à ça près). Echangeons nos pays. Par exemple, nous leur laissons la France, ses nappes aquifères, ses forêts, ses campagnes, ses musées et ils nous laissent le Sénégal, ses plages, son niveau de vie tellement bas qu’on ne dirait même pas un niveau de vie, son hivernage, ses baobabs, son désert qui avance, ses coupures d’électricité (quand il y en a) … Pour voir …