Ecrire ou mourir

Instant d'éternité

Le soleil illumine ma tanière et je vaque à mes pensées …de ci de là … cahin caha répondent les anciens … Sur ma platine, des notes culte s’évadent par delà les jardinières fleuries et les murs blancs. Mon Amour est là. Sa présence est si forte que ma peau se framboise. Moments d’oubli qui agrandissent l’espace, ralentissent le temps. Je deviens immense, île déserte où nul autre bateau que le sien ne peut aborder. Pages intimes d’un cahier interdit sur lesquelles ses doigts tracent les signes kabbalistiques d’un langage de nous seuls connu.

J’écarte les bras, appelant les énergies, répandant la lumière qui rebondit sur mon corps, redécouvrant l’équilibre des forces. De mes mouvements doucement démultipliés naît l’accord entre la terre et mon esprit. Il projette sur les murs le film de mes images, les extirpant de mes entrailles pour leur donner forme. Je vois leur sourire tendre quand ils me regardaient, j’entends le babillage d’une enfant devenue grande, j’écoute le bruissement des feuilles des filaos, je sens l’odeur de la terre rouge après la pluie d’hivernage. Je suis la terre et mes racines puisent en elle la force de continuer. Face au soleil du matin, je ferme les yeux et j’abandonne mon corps à ses rayons qui me réchauffent. Mon piano renaît et les notes d’un Nocturne ruissellent sur moi en gouttes claires. Nova dans un univers incréé, je me fonds dans l’harmonie de son chant. Ma danse lente et souple efface le monde trouble de mes visions.

Je prends la main de ceux qui ont compté, qui comptent et qui compteront dans ma vie. Je les emmène par-dessus la grève de leur monde bruyant. Je les entraîne … Plus de tension … plus de chaînes … Ma respiration emplit l’espace, j’entre dans l’air et je rejoins ma conscience. Je me fais musique pour que ma partition adoucisse le bruit de leurs nuits. Je me fais peinture pour que mes couleurs éclatent sur la grisaille de leurs jours. Je me fais lumière pour éclairer leurs pas quand ils trébuchent dans le noir. Je me fais ronde pour effacer leurs peines. Mon rire coule en cascade sur leurs angoisses qu’il dissout. Je suis le point sur le « i », le secret dévoilé, les battements de leur cœur, le haut de leurs bas. Je deviens la brume translucide qui monte dans l’air au petit matin. Leurs rêves éclosent et l’océan chante en eux. Je suis le clavier sur lequel mes doigts dansent. Je ne suis rien et ils sont tout.

Lentement, longuement, mes bras dessinent un dernier mouvement, brassant l’infini dont je suis devenue le centre. La sueur emperle ma peau, seul signe visible de mon long voyage aux confins de l’instant présent. Derniers arpèges, notes tendres qui s’étirent dans un sourire, éternelle beauté qui m’attend au-delà du ciel.