Juré d'assise
Au courrier de ce matin, une lettre de mon bon maire. .J’ai été tirée au sort pour la 1ère étape de la constitution des listes de jurés (cour d’assise) pour 2025. Je ne sais ce que d’aucun peuvent en penser. Personnellement, je l’ai longtemps redouté. Bien évidemment, il ne s’agit que du début d’une longue procédure et au final, je n’aurai pas à assumer ce que je considère comme une terrible responsabilité.
Malgré ce que cette expérience peut avoir de sociologiquement intéressant, j’en discerne plutôt les marques intellectuelles qu’elle peut laisser. Je ne sais comment exprimer les doutes qui m’assaillent : serais-je juste, serais-je totalement impartiale, imperméable à tout affect, saurais-je exprimer mes doutes si je devais en avoir dans un groupe qui n’en aura peut-être pas ... Aurais-je simplement le courage de me confronter à cet autre être humain et de décréter au nom "du peuple français" une sanction qui va l’impacter gravement, lui et tous ceux qui l’entourent. J’en passe et pas des meilleures.
Je me souviens d’une suite de séances de travail avec des étudiants sur la dynamique de groupe. Avec les collègues enseignants chercheurs, nous avions bâti nos différentes séquences sur le film « 12 hommes en colère ». Nous pensions que cela pouvait démontrer au mieux ce qui peut se jouer dans un groupe et les forces qui peuvent se mettre en œuvre. J’avais adoré ce travail et il m’a marqué durablement. Ne serait-ce qu’au moment des évaluations de fin de cursus (je détestais être correcteur !!).
Je suis partie en exploration sur le net juridique, mon code de procédure pénal étant très ancien. J’ai retrouvé l’article 304 qui dit : « Le président adresse aux jurés, debout et découverts, le discours suivant : "Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration ; de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; de vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions". Chacun des jurés, appelé individuellement par le président, répond en levant la main : "Je le jure" »
À la fin des débats, le Président donne lecture de l’article 353 qui prévoit ceci : « Avant que la cour d’assises se retire, le président donne lecture de l’instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations : " Sous réserve de l’exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Avez-vous une intime conviction ?". »
Mon intime conviction. La forger sur des faits bien établis, des preuves irréfutables, pourquoi pas. Mais je me connais comme si je m’étais faite ! En dehors de ma propre mortalité, je doute de tout. Il n’en reste pas moins que cette intime conviction mettra au ban de la société un Autre qui aura peut-être été broyé par des circonstances, de la malchance, un ressort dramatique qu’il n’aura pas su ou pu maîtriser. Cela aurait être moi ou un des miens. J’entends bien toute la monstruosité des actes qui peuvent être reprochés. On arrive rarement en cour d’assises par hasard. Mais un Patrick Dils n’est pas une exception. Que pensent aujourd’hui ceux qui l’ont condamné au nom de leur intime conviction.
Cela risque de faire de moi un bien piètre juré. Je sais, si je dois le faire, je le ferai mais quoiqu’il en soit, je n’irai pas avec joie, insouciance, gloriole ou curiosité (bien malsaine pour le coup !). C’est plutôt le mot terrorisée qui me vient en tête. Je doute que cela reste le meilleur moment de ma vie.
Nous n’en sommes pas là. Je suppose que la commission spéciale qui procède au second tirage au sort se réunira à l’automne. Ca précisera les choses.