Ecrire ou mourir

La communication non signifiante

Des quatre coins de la blogosphère –la métaphore est géométriquement osée-, dégouline un univers qui pisse à longueur de textes les tentatives, souvent vaines, de communiquer. Mais quelle est la raison première de toute communication ? Enonçons-la de façon simple …

faire passer un message ayant un contenu utile d’un émetteur à un récepteur !

Mettre ce concept en application demande de la vigilance. Confusion et interprétation étant les fléaux majeurs de notre société avancée, je vais donc développer pour vous une forme de communication qui évite ces travers. Je m’abstiendrai de tout exemple concret qui ne pourrait que trahir le message général et pur que je veux faire passer. La pratique intensive que nos gouvernants mènent dans ce domaine depuis des années suffira à ce que chacun y retrouve lui-même, par son expérience, un exemple en rapport avec le sujet.

Pour communiquer sereinement et sans crainte, un seul moyen : la « communication non-signifiante ». Elle pallie les écueils d’une communication signifiante que sont les risques de confusion entre messages signifiants et l’interprétation de messages insuffisamment signifiants. Recevoir un message signifiant génère en effet des frustrations qu’il ne faut en aucun cas négliger :

- celle de ne pas avoir émis nous-mêmes ce message,
- celle de ne pas pouvoir interpréter à notre guise le message trop clair qui est émis,
- celle de devoir s’intéresser aux autres,
- celle de devoir tenir compte de données supplémentaires dans nos pensées,
- celle d’attendre la suite (signifiante) généralement annoncée pour un message futur.

Il nous faut maîtriser le principe fondamental de la communication non-signifiante, c’est-à-dire s’astreindre à n’émettre que des messages sans la moindre signification. Cet exercice demande un entraînement rigoureux, parfois de plusieurs années. La lecture approfondie des messages académiques et au besoin des cours de formation accélérée aideront à progresser rapidement.

L’élaboration d’un message non-signifiant est infiniment plus longue et plus complexe que celle d’un message signifiant. L’élimination de phases encore teintées de sens est rendue difficile par la volonté inconsciente de donner un sens à son action. Je ne suis d’ailleurs pas sûre que le présent message ne comporte pas lui-même quelque signification et je m’en excuse par avance. Attention aux obstacles. D’une part, éviter la brièveté et la concision du message qui pourraient le rendre trop percutant de signification et inciter le récepteur à le lire de trop près. D’autre part, distinguer la communication non-signifiante de deux autres formes de communication que l’on confond trop souvent entre elles, la communication insensée et la communication insignifiante.
La communication insensée se distingue de la communication non-signifiante par l’absence d’intention de l’émetteur. Le non-sens émis est involontaire et le message envoyé n’est pas conforme à ce qu’il aurait voulu dire. A contrario, la communication non-signifiante est voulue et le non-sens émis parfaitement conforme à la pensée de l’émetteur.
La communication insignifiante comporte une faible part de signification. Cette part présente encore le risque d’attirer inutilement l’attention du récepteur et lui donner ainsi une marge de fausse interprétation. La communication non-signifiante est au contraire totalement dénuée de sens.

Un autre intérêt de la communication non-signifiante est qu’elle ne permet pas la distorsion de la transmission et rend inopérants les filtres qui peuvent la déformer. En effet, la théorie de l’information nous enseigne qu’un message perd de l’information entre son émission et sa réception. Cette loi n’est plus valable pour un message non-signifiant, la quantité d’information reçue étant égale à la quantité émise. Dans ce cas, le rendement de la transmission est maximal. L’entropie de l’information émise a atteint sa valeur maximale et l’information ne peut plus se dégrader.

Chacun aura bien saisi (je n’en doute pas une seconde) les bienfaits que la communication non-signifiante amènera dans son quotidien. Plus aucune interprétation déviante puisque le récepteur étant enfin habitué à la non-signification, les interprétations fausses qu’il peut en tirer sont désormais toutes non-significatives. Terminée la confusion avec un message à signification réelle, une phrase dénuée de sens pouvant être confondue avec une phrase sans signification, sans conséquence dommageable car leur signification est identique. Et au final, et c’est peut-être là le point le plus important, nous aurons éradiqué de façon définitive chez le récepteur les insatisfactions sus citées, lui laissant l’esprit insensible à toute forme de pollution à tendance revendicatrice.

Afin de se convaincre des effets bénéfiques d’un tel mode de communication, j’engage à contempler chaque jour l’admiration béate d’une minorité sous-motorisée du bulbe malheureusement dominante.

D’ici là, je médite sur cette phrase du très regretté Pierre Dac qui traduit bien le non sens régissant désormais nos vies : « parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs et imprescriptibles de ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir »