Ecrire ou mourir

Le rêve malien - Exfiltration

Il est 14 h et c’est sous une chaleur de plomb que nous roulons vers l’aéroport. Dans le coffre, les 2 sacs de voyage entre lesquels je vis depuis des semaines. Semaines lourdes … épiée … suivie … surveillée en permanence. La situation a dégénéré en quelques jours et ni l’avocat, ni moi n’avons rien pu faire. D’ailleurs, qu’aurions-nous pu faire quand un chef d’entreprise français se permet de menacer un état étranger et d’insulter ouvertement un de ses ministres ? Que faire quand le Président est outragé par un ridicule petit bonhomme dont la mythomanie atteint sa phase terminale ?

Rien … sauver ce qui peut l’être, en catastrophe. Au-delà de ce qui peut se passer pour moi, il y a ceux que nous allons laisser sur le carreau. Les gardiens, les chauffeurs, les petits, les obscurs. Leur sort me soucie bien plus que celui du propriétaire des bureaux. Il s’en sortira toujours. Il n’y a de la chance que pour la canaille disait toujours un vieil homme sage de ma connaissance … Alors, pour régler les derniers salaires, je puise dans mes économies puisqu’il y a belle lurette que la maison mère n’a pas approvisionné le compte en banque de la société.

Je ruse … je mens … je donne le change … De planque en planque, de faux amis en vrais copains, je me débrouille pour trouver un endroit où me poser chaque jour en attendant qu’un hypothétique billet de retour me parvienne. Mais je me leurre. Bamako n’est qu’un village où mes faits et gestes sont connus avant même qu’ils ne se produisent. Un copain pilote, un ancien de Kinshasa me transmet un message. Il peut me faire rentrer. Il faut que je lui réponde. Vite. Un pote expat d’une grosse compagnie de TP me prête son téléphone satellitaire. C’est la seule façon de pouvoir se parler sans être écouté. J’arrive à joindre Gilbert. « Ecoute moi … on se pose à Bamako aux environs de 15 h et nous redécollons à 17 h. Tu dois absolument te débrouiller pour monter dans l’avion. Le commandant de bord est un ami, il est d’accord. Je suis sûr que tu vas y arriver. »

Pour avoir accès au tarmack et passer les contrôles sans trop de problème, j’ai encore mon badge. En priant le ciel que dans leur laxisme habituel, ils ne l’aient pas désactivé. Je pourrais toujours prétendre que j’apporte les sacs à des collègues. Pour accréditer mon histoire, j’ai préféré revêtir mon uniforme. Le chauffeur est certainement une taupe alors je ne lui ai rien dit, juste qu’il m’attende, que je n’en avais pas pour longtemps. Je suis navrée pour lui mais je n’ai pas d’autre solution. Sur le parking, je tente de ne rien laisser paraître de l’angoisse qui me serre les tripes. Mes mains tremblent et je suis glacée. L’officier de police qui contrôle l’accès au hall d’embarquement me laisse passer. On se connaît. Je suis la blanche qui convoie l’or des mines. Le second contrôle sera moins évident. Mes sacs devront passer aux rayons. Là encore, je mens … j’avance vers la piste. Je vois l’avion. Ils sont en train de refermer la soute … merde … j’accélère sans courir. « Madame, tu peux plus aller … ils vont décoller … » … « Héé … je sais … ils attendent mes sacs alors tu ouvres s’il te plaît …  » … « Je n’ai pas le droit …  » … Putain quand ils se mettent à être bornés, c’est l’horreur … « Ouvres la soute et je te donne mon portable. Ca te va ? » … Le deal est trop beau. Avec ce qu’il tirera de la vente du téléphone dont je n’ai plus l’utilité, il pourra sans doute acheter le riz pour tout le mois. Mes sacs disparaissent en soute et je grimpe la passerelle. A peine ai-je un pied dans l’avion qu’elle est retirée et la porte refermée.

Gilbert m’embrasse et me présente l’équipage. Des géants suédois et un loadmaster belge. On décolle. J’arrive enfin à parler … mais je ne peux pas m’empêcher de trembler. On doit faire un stop au Tchad mais ensuite ce sera direct la maison. A N’Djamena, un policier monte à bord. Je blêmis. C’est pas vrai … avoir réussi à arriver jusque là pour me faire alpaguer !! ! Gilbert rigole … « Ne t’inquiètes donc pas. Il vient juste chercher les journaux qu’on lui file à chaque fois ». Quelle cloche … je deviens parano ! Arrivée au petit matin à Charles de Gaulle. Le bus des équipages et le quai du TGV. Gilbert repart pour Bruxelles. Mes sacs pèsent une tonne, je suis épuisée mais je suis en France. Chez moi … Quelques heures plus tard, je suis assise dans la cour de ma maison au fin fond du Médoc, ma fille à mes côté. Richard m’appelle pour savoir comment je vais. Il me croit encore à Bamako. Je jette un regard à l’amoncellement de cantines qui ne sont jamais parties. J’avais préféré attendre. Au moins dans toute cette histoire, j’aurais eu un éclair de lucidité. Je tremble moins. Nous sommes le 15 août 2003 et le rêve malien a tourné au cauchemar.

Je n’ai jamais revu Gilbert bien que nous nous soyons téléphoné à plusieurs reprises après mon retour. Je crains qu’il ne soit plus de ce monde. De graves problèmes cardiaques. Malgré son état de santé, il a été le seul à mettre tout en œuvre pour ne pas m’abandonner là-bas et je me demande encore souvent si je lui ai suffisamment dit à quel point je lui étais redevable. Il m’a fallu des mois pour que les bouffées de haine s’estompent. Il arrive encore que certaines nuits sans sommeil … Ni le boss, ni ceux qui finançaient cette compagnie n’ont été inquiétés. Les prud’hommes ont jugé normal qu’ils ne m’aient pas versé les 4 derniers mois de salaire (ni le reste). Aucune administration n’a bougé et je n’ai trouvé aucun soutien auprès du syndicat auquel je cotisais pourtant depuis des années. Au bord de la faillite personnelle, j’ai dû vendre le seul bien que je possédais et auquel je tenais comme à la prunelle de mes yeux : ma maison. Mes tentatives d’alerter le pouvoir de l’époque sur les dangers que représentent de tels escrocs dans le transport aérien ont été parfaitement vains. A ce propos, je remercie le chef de cabinet qui m’a rappelé le principe de la séparation des pouvoirs. Sans doute, n’avait-il pas bien lu ma lettre et en matière de cabinet, celui-là ne valait pas mes chiottes. Des voisins m’ont confié avoir essayé de contacter Courbet, sans succès. Cette histoire ne devait pas être suffisamment médiatique. Tant mieux … je n’ai jamais supporté ce genre de mec …

Mais au-delà de tout ce fumier, ce qui compte uniquement à mes yeux, c’est que ma fille ne m’en a jamais voulu et que j’aime toujours passionnément le Mali. Ce pays n’est en rien responsable de la malhonnêteté d’un groupe de financiers. J’ai eu la chance extraordinaire d’en découvrir la magie, la gentillesse et la chaleur de tout un peuple. Compte-tenu de la situation politique actuelle, je doute de pouvoir y retourner un jour.

Cette histoire relate des faits réels et certains personnages exécrés existent encore … Le crime parfait n’existe pas et ça ne vaut pas le coup que je ne finisse aux assises pour des mafieux.