Ecrire ou mourir

Rêve malien

A l’automne de la vie, on se surprend à revenir sur des moments de notre parcours. Des moments doux, ensoleillées et des moments plus chaotiques où on se demande pourquoi on n’a pas écouté les signaux d’alarme que notre cerveau nous envoie parfois. Je n’ai pas eu de ferme en Afrique mais j’y ai vécu. Le retour en métropole avait été violent car il sonnait le glas d’une histoire conjugale qui n’avait pas survécu à l’exotisme. Après avoir surmonté en partie cette épreuve puis une seconde, encore plus redoutable, mon objectif était de repartir. Une offre d’emploi à une époque où les choses se passaient plus sérieusement qu’aujourd’hui. Je décrochais un poste de chef d’escale pour une compagnie de charter à Bamako, au Mali. Un premier signal est passé à l’orange pendant les préparatifs du départ. Puis un second et encore un autre, le jour même de mon départ. Hall des départs internationaux de Roissy. Des amis m’ont déposé avec armes et bagages. Les emmerdes s’enchaînent … fichue loi de Murphy …

Madame, vous ne pouvez pas embarquer. Votre visa expire 2 jours avant la date de votre retour …. Ce chef d’escale me regarde de ses yeux sans vie au milieu d’un visage blême. Je vais le tuer, c’est sûr … Il y des semaines que j’attends ce jour. Je viens de payer 125 € d’excédent de bagage. J’ai beau lui répéter qu’un visa long séjour m’attend sur le tarmac de Bamako et ce con fait le sourd ! Je vais le tuer ! … Mais je ne le tue pas. Non, je suis assise sur mes bagages, sur le trottoir de Roissy et je pleure à chaudes larmes au téléphone. Vous pouvez venir me rechercher ? Je ne peux pas partir ! … C’est dans ces moments-là qu’on sait qui sont ses amis. Ils m’en donnent une preuve supplémentaire, font demi-tour au Bourget et reviennent aussi vite que possible récupérer leur « aléa » préféré. Oui, Aléa. C’est mon surnom. Il paraît que je ne suis jamais là où on m’attend. Ils ne se contentent pas de revenir sur leurs pas. Ils lancent le plan ORSEC. On amène France ce soir avec nous … non, elle n’a pas pu partir … Tout un réseau qui se met en branle pour ne pas me laisser tomber. Pour certains, ils ne me connaissent même pas … Ils savent juste que je pars prendre un poste au Mali pour le compte d’une compagnie aérienne, que j’ai tout lâché en France pour ce challenge. Tout sauf ma « Maison Biscornue » que j’ai confiée aux soins de ma fille, une adolescente de 17 ans …

Le lendemain matin, aux aurores, la course reprend. Depuis Massy, filer au Consulat du Mali, expliquer mon cas, pester, tempêter, obtenir un passe-droit et le précieux sésame puis repartir à toute vitesse vers l’aéroport et enfin, à midi et demi, être enregistrée sur le vol à destination de Bamako. Ca, ce fut un réel exploit ! ! Lorsque la sécurité nous fait évacuer la salle d’embarquement parce qu’une alerte à la bombe éclate sur le Fort de France, stationné juste à côté de nous, je me dis que je suis maudite. Que cette histoire est trop mal partie pour que ça puisse marcher. Tous mes signaux intérieurs passent au rouge vif. Mais les choses rentrent dans l’ordre et nous embarquons. Les minutes passent et rien ne bouge. De l’avion bondé et surchauffé, commencent à monter les pleurs des enfants fatigués et les grognements des passagers excédés. Il est 17 heures et nous devrions déjà survoler le continent africain. Les haut-parleurs crépitent et la voix du Commandant nous annonce qu’une grève surprise des contrôleurs du ciel l’oblige à reporter notre décollage … Et là … là … une panique monstrueuse s’empare de moi … Je dois quitter cet avion … A tout prix … Je ne dois pas partir …

L’indifférence, l’incorrection même, du personnel de cabine ne fait rien pour calmer les angoisses de ceux qui comme moi se demandent quand, comment … Non, ce jour-là, une fois de plus, ils furent humainement en dessous de tout. Oh pas qu’il me reste beaucoup d’illusion sur notre chère compagnie nationale, mais quand même … Je me souviens. Ils surnommaient les avions d’Air Afrique, « les boîtes à cachous ». Et bien je la regrette la « Boîte à Cachous », moi qui l’ai si souvent prise. Un jour, des politiciens véreux ont abandonné la seule Compagnie qui portait le nom d’Afrique !! ! Bah … controverse inutile … laissons le passé à l’Histoire … Nous décollerons finalement à 20 h 00, c’est-à-dire 8 h 00 après l’heure prévue. Voyage pénible, alourdi par les évènements et des espérances qui se teintent de malaise. Je débarque à Bamako, harassée, les nerfs en pelote et lorsque mon boss s’avance à ma rencontre, accompagné du patron de l’Aviation Civile locale, mon sourire est crispé et ma poignée de main poisseuse.

J’ai posé mes valises dans la première chambre venue de la maison qui m’a été attribuée par une bande de culs blancs qui n’ont rien compris. Cette baraque est assez grande pour loger un régiment et je vais y vivre seule ! Je sais juste que je suis dans le quartier de Badalabougou et que le Niger coule au bout de ma ruelle en latérite. Raide de fatigue, je m’écroule sur le lit. Il fera jour suffisamment tôt pour réfléchir. Assez tôt pour refaire connaissance avec ma terre d’Afrique … oui, le ciel sera bleu, l’eau mouillera et demain sera un autre jour …