Ecrire ou mourir

Mystique

Je ne parle pas de religion. Je ne parle jamais de religion. Ni de ses artifices, ni de ses intermédiaires. Ni même de ce que les hommes en font. Je ne parle pas d’illumination, de lumière blanche ou de révélation.

Je veux parler de ce qui peut nous arriver à tous à un moment donné de notre vie. Sans que nous y soyons préparés. D’un moment de grâce, de paix intense. Un sentiment qui nous attrape et nous laisse un sourire sur les lèvres. Un sentiment qui n’est pas explicable, ni partageable. Je veux parler de ce que l’on peut-être appeler la Foi.

Pas la Foi en l’homme (toujours sans majuscule). Nous ne sommes que des nanosecondes dans un univers qui se résoudra à nous dissoudre quand il s’apercevra à quel point nous sommes une erreur. La Foi. Un mot étrange auquel chacun donne une définition différente. La croyance dans quelque chose de tellement plus grand que nous. La compréhension que tout est écrit et que notre marge de manœuvre est bien mince quant à l’orientation que nous voulons donner à nos vies.

Alors que j’étais enfant, nous allions souvent à Lourdes. Pas parce que ma famille était pratiquante. Non. A la table dominicale, les anciens « bouffaient du curé » comme on disait à l’époque. Il se trouve simplement que mes parents aimaient aller dans les Pyrénées et Lourdes se trouvait sur leur route. Je me souviens très bien de ce moment où je me suis retrouvée seule, marchant le long du gave, non loin de la grotte de Marie. J’avais une dizaine d’années. J’ai ressenti comme une eau fraîche qui venait me laver de mes erreurs et de mes errements. Un formidable sentiment de paix.

Je me rappelle aussi les quolibets de mes proches et je me suis demandée ce qu’ils feraient si je décidais de rentrer dans les ordres ! Je ne suis pas rentrée dans les ordres. Au goupillon, j’ai préféré le sabre. De ce jour-là, j’étais l’illuminée de la famille. Il est bien plus facile de se moquer que de chercher à comprendre.

Depuis, je recherche ce sentiment tellement bienfaisant. J’entre dans les églises. Grandes ou petites, qu’importe la taille pourvu que j’y sois seule. Seule à méditer, seule à me reposer, seule à me confier à quelques oreilles immanentes. Je suis une pratiquante solitaire. Mon dialogue avec Dieu (ou quelque soit le nom qu’on lui donne) est direct, sans artifice et sans intermédiaire.

Il y a quelques années, nous sommes allées, ma fille et moi, en Israël. Nous avons fui la Nativité à Bethléem. Des nuées de touristes pires que des sauterelles, sans respect pour le lieu et pour l’office qui se déroulait pour une poignée de croyants. Je les ai admirés de pouvoir se couper de cette foire d’empoigne pour communier ! Le Saint Sépulcre, pire encore ! Il en allait ainsi de tous les lieux de Jérusalem. L’accès au Dôme du Rocher était bloqué et pour y accéder, il aurait fallu demander une autorisation au moins 1 semaine à l’avance. Pas de commentaire. Nous avions choisi d’aller chez les Bénédictines du Mont des Oliviers plutôt qu’à hôtel. Heureusement pour notre santé mentale. Au moins y retrouvions-nous la paix le soir.

Au gré de nos pérégrinations en Terre Sainte, nous sommes arrivées au Mont des Béatitudes. Un vaste jardin où la foule se dilue. Un grand calme. Une église ronde. Je me suis assise et j’ai écouté les chants des pèlerins. Elle était là à m’attendre, la paix, la mansuétude, le regard au-delà du ciel. J’ai laissé les larmes couler sur mes joues. Je savais que ce jour-là, il n’y aurait pas de moquerie. Que ce qui m’emplissait était intimement ressenti par tous. Je me retrouvais le long du gave à Lourdes. Un bien long chemin pour enfin trouver l’abandon.

Il y a des lieux qui offrent ce moment qui nous replace au centre du monde. Le Mont Saint-Michel en hiver. Les petites chapelles désacralisées que l’on peut découvrir parfois au détour d’une clairière. Les églises de brousse où les moines célèbrent la messe en s’accompagnant des koras. Ce que je regrette le plus de ma vie au Sénégal est le chant du muezzin pour la 1ère prière du matin. Il me parvenait de loin et j’aimais me réveiller doucement en l’écoutant.

J’ignore si je suis ce qu’on appelle une mystique. Ce que je sais, c’est qu’au fond de moi, il existe une croyance plus forte que mes doutes et mes peurs. Elle m’apaise. Elle m’aide à avancer. Grâce à elle, je peux affronter ma mortalité sans crainte. C’est elle que je retrouve quand je pars faire les chemins de Compostelle. Marcher donne du temps et de l’espace à la réflexion. Je le fais seule. Toujours et encore solitaire.

J’ai choisi de faire des retraites dans des couvents qui accueillent ceux qui, comme moi, cherchent à se déconnecter pour mieux se retrouver. J’ai même envisagé de rejoindre un ordre quand mon temps sera venu de faire comme les vieux éléphants d’Afrique. Je trouve cette perspective bien plus joyeuse que celle de l’EPAH du coin, à croiser des vieux que je ne supporte déjà pas aujourd’hui. Peut-être la congrégation des sœurs hospitalières de M’Bodiène m’accepteront-elles. Ou au Monastère de l’Emmanuel de Bethléem. Il y a tant à faire là-bas, même pour une vieille femme. Vieille oui, mais en paix.

Je ne sais pas. Ce n’est pas moi qui décide.