Ecrire ou mourir

Solitude

Dédié à tous ceux et celles qui m’envie de l’être, qui ont peur de le devenir, qui sont prêts à tout pour ne pas l’être, qui le sont, qui aiment plus que tout l’être, qui apprécient de l’être, qui se foutent de ceux qui le sont, qui le deviendront … seul …

La journée qui s’allonge et qui se termine. Rentrer. Pendant quelques instants, respirer ces odeurs qui n’appartiennent qu’à nous. Odeurs mêlées du présent et du passé. Aller et venir, vaquer à ses habitudes du retour, nos pavanes privées. Poser son sac là … et pas ailleurs … enfiler un vêtement confortable. Certains se douchent, d’autres se mettent en cuisine, d’autres encore ne font rien. S’assoient dans le silence, allument une cigarette et pendant un instant, un moment infime où le temps paraît se suspendre … éloigner le bruit, les faux-semblants, les autres …

Pas se retrouver. Pour ça, encore faudrait-il être capable de se perdre. Mais nos âmes sont des petits poucets qui toujours nous ramènent là où nous ne devrions pas être, là où on ne nous attend pas, là où d’autres pourraient être si … si … Ceux qui rentrent seuls ne se retrouvent pas. Ils ne rêvent que de se fuir. Oh ! pas chaque soir … mais un soir au moins, un seul ils ont tant souhaité se fuir ! Allumer la radio pour briser le silence tant espéré, ouvrir le réfrigérateur pour y jeter un coup d’œil, le refermer parce que l’envie s’est enfuie d’un coup. Redresser un bibelot, d’un revers de main lisser l’oreiller sans creux.

Et puis écouter les nouvelles du monde. D’un autre monde. Auquel ils n’appartiennent finalement pas, ou si peu. Monde d’ombres frileuses qu’ils côtoient chaque jour et qui se voile pour ne pas risquer la contagion. Quand parfois, le temps s’accélère, que les particules s’affolent autour d’eux, ils revivent. L’espace d’une histoire, le temps d’un jour de grand soleil. Seconde de luxe qu’ils s’offrent comme un miracle et vivent comme si elle devait être la dernière. Ils revisitent les quais de gare, les rues illuminées, les habits endimanchés. Cela ne dure pas. Jamais. Parce qu’aussi belle que leur vie paraît, il ne se trouve personne pour la partager.

Laissez les crier … hurler ce qui les ronge et les emporte. Il y a si longtemps qu’ils vous épargnent en se taisant. Si longtemps qu’ils font semblant. Arrêtez de boucher vos oreilles. Ouvrez les yeux sur leur désespoir muet qui ne cherche pas à émouvoir. Qui ne demande rien. Qui vide leurs yeux. Il suffirait de si peu, d’un rien … Pour que leurs mots deviennent magie. Pour que leurs rires deviennent cascade. Pour qu’ils vous donnent ce qu’ils ont de plus précieux … eux … Mais vous avez si peur. Vous n’êtes pas prêts à tout. Sans doute, parce que vous n’êtes prêt à rien.

Alors, à la fin du jour qui s’allonge, ils rentrent. Pas pour se retrouver puis ils se sont perdus. Faire face au miroir. A en devenir fous. Les images y sont si nombreuses d’un bonheur passé, si rieuses des familles éparpillées, si colorées des étés qui emperlaient de frais les verres sur la table du jardin. Les pensées rejoignent les images et la sarabande commence. Une danse tribale qui ne cessera qu’avec le petit jour. Quand hagards, abrutis de leur absence de sommeil, froids du manque de chaleur, ils rejoignent la cohorte de ceux qui les envient de l’être, qui ont peur de le devenir, qui sont prêts à tout pour ne pas l’être, qui le sont, qui aiment plus que tout l’être, qui apprécient de l’être, qui se foutent de ceux qui le sont, qui le deviendront …